Arona Oumar KANE

Le PROJET est mal parti

Les Germes d’un Échec Probable

Par Arona Oumar KANE

Septembre 2024

Le Document de Programmation Budgétaire et Économique Pluriannuel du Sénégal, pour la période 2025-2027 (DPBEP 2025-2027), a été adopté en Conseil des ministres le 12 Juin 2024, soit deux mois après l’installation du nouveau gouvernement. Ce document, produit et actualisé tous les ans par la Direction Générale du Budget, fixe les orientations budgétaires pour les 3 prochaines années et sert de base à l’élaboration des lois de finances, conformément à l’article 51 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF). Il y est précisé le contexte macroéconomique ainsi que les projections de recettes budgétaires et surtout les dépenses envisagées pour la période triennale concernée. Le tableau ci-dessous en donne un aperçu.

(En milliards de FCFA) Budget 2024 2025 2026 2027 Total 2025-2027
RECETTES INTERNES 4 390 5 130,4 5 563,1 6 184,8 16 878,3
RECETTES EXTERNES (DONS) 303,8 317,3 319,1 326,8 963,2
DÉPENSES COURANTES (Personnel, Achat, Transferts) 3 119,3 3 540,3 (+13,5%) 3 652,1 3 933,4 11 125,8
INTÉRÊTS ET COMMISSIONS 578,3 808,4 (+39,8%) 784,5 704,8 2 297,7
DÉPENSES D’INVESTISSEMENT 1 836,3 1 811,5 (-1,3%) 2 210,8 2 678,2 6 700,5
DÉFICIT BUDGET GÉNÉRAL 802,4 712,5 765,2 804,7 2 282,4
DÉFICIT OPEX (???) 50 50 50 50 150
EMPRUNT 2 138,4 2 513,7 3 502,2 2 782,2 8 798,1
REMBOURSEMENT DE LA DETTE 1 248,2 1 751,2 2 687,0 1 927,5 6 365,7

Ce qui est frappant sur ces chiffres, c’est la continuité, voire l’aggravation, de l'orientation budgétaire du régime de l’ancien président Macky Sall. Cette orientation est caractérisée essentiellement par l’explosion d’une dette qui ne sert, littéralement, pas à grand-chose, comme nous le verrons, et par un déséquilibre persistant entre les dépenses de fonctionnement et les dépenses d’investissement.

La navigation à vue d’une équipe dirigeante qui semble improviser

Le Premier Ministre Ousmane Sonko annonçait, en Conseil des ministres, que son gouvernement comptait sur l’expertise locale pour définir concrètement le nouveau référentiel des politiques publiques de la République du Sénégal, communément appelé Le PROJET. L’absence, au départ, d’un référentiel documentaire structuré de mise en œuvre de la vision portée par les nouvelles autorités a eu pour conséquence immédiate une série d’incohérences dans les actes posés et les annonces sur les intentions.

Le chef du gouvernement vient d’annoncer, lors d’un conseil interministériel, un investissement de 2 578 milliards de FCFA pour développer les infrastructures maritimes et portuaires - d'ici 2025, selon l’expression de l’Agence de Presse Sénégalaise (APS) qui a relayé l’information. L’idée est à saluer. Notre pays possède des avantages compétitifs non négligeables dans ce domaine, mais nous sommes sous la menace constante d’une concurrence qui pourrait bien profiter de la baisse de performance de nos ports, en raison notamment de la faiblesse des infrastructures. Seulement voilà, le montant annoncé est en porte-à-faux avec les orientations budgétaires définies par ce même gouvernement.

La "Transformation systémique", une ambition tuée dans l’oeuf des choix budgétaires

Nous ne le dirons jamais assez, les budgets votés et exécutés par le précédent régime n’avaient pas été conçus dans l’intérêt du peuple sénégalais. Le Budget 2024, dont le nouveau gouvernement poursuit l’exécution, sans loi de finances rectificative, en est un exemple patent avec plus de 3 697 milliards de FCFA consacrés aux dépenses de fonctionnement et transferts courants, contre 1 836 milliards de FCFA pour les charges d’investissement.

Cet endettement qui nous étouffe n’a curieusement plus pour objectif principal de combler le déficit. La part la plus importante de ces fonds, levés majoritairement sur les marchés internationaux hors zone CFA - ce qui a son importance, compte tenu des risques de change - est consacrée au remboursement d’autres dettes, une toute petite portion allant au financement du déficit du budget général. A titre d’exemple, sur l’année 2026, pour un déficit projeté à 765,2 milliards de FCFA, le gouvernement prévoit d’emprunter 3 502,2 milliards !

Graphique 7. Échéancier de paiement - principal et intérêts (milliards de FCFA)

Échéancier de paiement de la dette du Sénégal

La seule raison objective qui pourrait justifier un remboursement anticipé est de pouvoir profiter de taux d’intérêts plus bas pour allonger l’échéance et réduire les charges de la dette sur les dépenses courantes du budget. Au vu de la croissance exponentielle de ces charges et du niveau de plus en plus élevé des amortissements, on peut douter que ce genre de restructuration de la dette soit le principal objectif de ces remboursements prématurés, réalisés avec de nouveaux emprunts. La répétition est pédagogique, nous insistons sur le fait que ces emprunts génèrent des commissions colossales à la charge du contribuable sénégalais.

Le Jub, Jubal, Jubbanti, un slogan mis à mal par les faits

Le principal cheval de bataille de l’opposant Ousmane Sonko fut la lutte contre la corruption et l’accaparement des ressources par une élite corrompue. Cette corruption a une matérialisation concrète dans la gestion des finances publiques, pas uniquement dans l'utilisation des moyens excessifs affectés au fonctionnement de l’Etat, mais aussi dans la réalisation des projets exécutés par ce dernier.

L’un des supports du système de corruption massive, mis en place par les régimes précédents, est la création d’agences et de fonctions sans valeur ajoutée au sein des départements ministériels et des organismes publics et parapublics, voire même jusque dans la Présidence de la République. La promesse était faite de supprimer certaines de ces structures, et c’est là où il est possible de réaliser de véritables économies sur le train de vie de l’Etat.

Période Effectif Masse Salariale (Milliards FCFA) Frais d’hospitalisation (Milliards FCFA)
Avril 2024 181 301 114,9 1,1
Mai 2024 181 900 116,0 1,5
Juin 2024 182 449 116,8 1,5

Rien n’a changé dans les pratiques de gabegie de l'administration publique. Pire, avec l’installation des nouvelles équipes, une augmentation considérable des recrutements est constatée dans la fonction publique sur les mois de mai et juin 2024. En effet, un recrutement de 1 148 nouveaux agents a été opéré par les nouvelles autorités en deux mois. La masse salariale mensuelle de la fonction publique a ainsi bondi de 2 milliards de FCFA depuis le mois d’avril 2024, passant de 114,89 milliards de FCFA à 116,82 milliards de FCFA.

Autre fait inquiétant, les dépenses d’hospitalisation des agents de l’Etat qui, sous le précédent régime, plafonnaient en moyenne autour d’1 milliard de FCFA par mois, sont brusquement passées à 1,5 milliard de FCFA. Soit +50% d’augmentation des frais d’hospitalisation des fonctionnaires depuis Mai 2024, sans que le contexte sanitaire ne le justifie. Il faudra d’ailleurs vérifier si nous ne sommes pas en présence d’un cas de détournement de deniers publics, maquillé dans la prise en charge médicale des fonctionnaires.

En dépit des bonnes intentions, de la vision et des discours volontaristes, l’examen des faits et des chiffres montre que le PROJET est parti pour être un échec, si rien n’est fait pour modifier rapidement la trajectoire enclenchée.