Avril 2024

LA BOMBE SALARIALE

Le Legs Empoisonné de Macky à Diomaye

Portrait de Arona Oumar KANE

Par Arona Oumar KANE

Ingénieur Logiciel - Bangath Systems

En mai 2022, la masse salariale mensuelle de l’administration publique sénégalaise est passée de 77,6 Milliards à 106,2 Milliards de FCFA (source DPEE), soit une augmentation de 38,6% par rapport au mois précédent.

D’un coup ! Pour une augmentation de seulement 2% de l’effectif, ce qui signifie que des hausses massives de salaires ont été opérées en faveur des agents de l’administration publique, par un extraordinaire coup de baguette magique. Une augmentation de 5 points d’indice a également été consentie sur les retraites dans cet exceptionnel élan de générosité.

Graphique: Masse salariale mensuelle de la Fonction publique

Masse salariale mensuelle de la Fonction publique (en milliards de FCFA)

Cet évènement rare, pour ne pas dire inédit, dans le monde entier, et qui aurait dû déclencher un débat national ou, tout au moins, une défiance parlementaire, est passé comme une lettre à la poste. Ni les acteurs politiques, y compris dans l’opposition radicale, ni les économistes d’ici et d’ailleurs, ni même les “procureurs” des institutions financières internationales, si promptes aux injonctions, ne se sont arrêtés sur ce qui relève pourtant d’un véritable séisme budgétaire.

Détection d'une Anomalie Statistique

Ce qui a porté cette information à notre attention, c’est notre activité d’éditeur de logiciels. En effet, nous avons développé un outil d’analyse de données économiques permettant de réaliser des études approfondies sur les données publiées par les gouvernements. C’est en entraînant nos modèles sur les données collectées auprès de la DPEE que nous avons détecté de nombreuses anomalies statistiques dans les comptes publics de la République du Sénégal, dont cette brusque augmentation de la masse salariale de l'administration publique.

Aucun pays au monde, y compris parmi les plus nantis, ne peut encaisser un tel choc sur ses finances publiques sans conséquences à plus ou moins long terme. Cela ne se fait jamais, c’est totalement irrationnel et irresponsable. Car, faut-il le rappeler, il ne s’agit pas ici de simples primes ponctuelles, mais de salaires et de retraites, autrement dit, des acquis sociaux dont les bénéficiaires s’attendent à ce qu’ils soient préservés.

Dans une économie qui peine à produire de la richesse sur une base endogène, le seul moyen de couvrir ces dépenses de personnel supplémentaires est de recourir à la dette. À moins que les nouvelles autorités ne trouvent une solution miracle, nous sommes partis pour poursuivre cet endettement exponentiel - autre “legs aux générations futures” du Président Macky Sall - jusqu’à une éventuelle cessation de paiement.

Les salaires s'augmentent par la croissance, par la richesse créée dans une économie en progrès, et non par la dette. Or en 2022, le PIB avait fortement reculé par rapport à 2021, avec un taux de croissance passant de 6,5 % à 4,2%. Augmenter les salaires de manière quasi symétrique de 38,6% dans ce contexte relève de la folie.

L'Augmentation Salariale : Une Stratégie Électorale

L’exposé des motifs de la loi de finances 2024 invoque la nécessité de donner un coup de pouce aux salaires dans un contexte de très forte inflation. Cet argument est d’autant moins pertinent que la hausse massive des salaires est un facteur aggravant de l’inflation (simple loi du marché : augmentation de la demande sans offre équivalente). Ainsi, à l’inflation importée s’ajoute une inflation endogène causée par une décision non raisonnée de l’exécutif.

La vérité, quand on analyse le contexte de ce dopage salarial, c’est que nous sortions des élections locales de mars 2022 où le camp présidentiel avait subi un important revers. Cette revalorisation salariale, sortie de nulle part, en plein milieu d’année, apparaît dès lors comme une monumentale opération d’achat de consciences qui ciblait les agents de l’administration publique dans un contexte électoral défavorable à la coalition Benno Bokk Yaakaar.

Réitération de la Manœuvre et Violation de la Loi

Les artisans de cette gigantesque fraude économique ne se sont pas arrêtés en si bon chemin. L’opération ayant porté ses fruits aux législatives, ils ont réitéré la manœuvre à la veille de l'élection présidentielle, beaucoup plus discrètement. Fin janvier 2024, la masse salariale mensuelle a de nouveau brusquement bondi, passant de 106 Milliards à 131,5 Milliards de FCFA, soit un bond de 25% !

Une augmentation substantielle de l’effectif est également observée, avec un recrutement net de 2451 agents en un mois, soit une augmentation de 1,4%. De plus, les chiffres laissent apparaître des frais d’hospitalisation des agents de l’État inhabituellement élevés à 4,5 milliards FCFA sur le seul mois de janvier. Ces irrégularités dénotent, au mieux, d’un manque de sérieux, au pire, de manipulations comptables synonymes de malversations.

Récapitulatif des Dépenses Injustifiées

Ces dépenses de personnel supplémentaires sont dépourvues de base légale. Le plafond pour 2024 est fixé à 1 442 Milliards de FCFA, or une masse salariale mensuelle à 131,5 Milliards dépasse ce montant de près de 136 Milliards de FCFA sur l’année. Clairement, nous avons là un cas de violation flagrante de la loi par le pouvoir exécutif.

Un Legs Dangereux pour la Nouvelle Administration

Les deniers publics ont été utilisés pour atteindre un objectif politique immédiat, léguant un boulet budgétaire. La gestion opaque et la roublardise habituelles laissent à penser que des surprises désagréables attendent la nouvelle administration, comme l’a montré le rapport sur la gestion du fonds Force COVID19. L’une de ces surprises est la situation des comptes publics, masquée sous un tissu de mensonges et de manipulation des chiffres.

Cette opération de tripatouillage budgétaire est assimilable à un braquage, un véritable sabotage dont les auteurs, à commencer par le président Macky Sall lui-même, doivent répondre devant la justice. Il est impératif que le peuple sénégalais soit informé de cette atteinte grave à ses intérêts. Ce sabotage est une faute très nette, très lourde, aux graves conséquences, menée contre nos finances publiques.

Appel à l'Action et à la Solidarité Nationale

Maintenant que le mal est fait, les nouvelles autorités auront pour mission de remettre de l’ordre dans les comptes. Le Président Diomaye Faye aura fort à faire pour nous sortir de ce bourbier budgétaire. Il est évident qu’il va falloir prendre des mesures difficiles qui doivent être comprises et acceptées par tous.

Ce sabotage doit être vu comme notre problème à tous. Pour le résoudre, une purge budgétaire de grande ampleur sera nécessaire, en commençant par l’annulation au moins partielle des augmentations et des recrutements fantaisistes. Les Sénégalais devront se serrer les coudes et accepter la part de sacrifice nécessaire pour remettre le pays sur les rails.

Contrer la Propagande

Il faudra anticiper les diatribes de la nouvelle opposition qui tentera de dépeindre l'ancien régime sous un jour favorable dès que les mesures impopulaires commenceront à se faire sentir. Un travail de déconstruction de la propagande est indispensable pour que le peuple ne soit pas dupé et reste soudé derrière le Président Bassirou Diomaye Faye. Les jeunes, en particulier, doivent s'approprier ce travail de veille et de sensibilisation auprès de leur entourage.

Exigences de Transparence pour le Gouvernement

Le gouvernement devra faire preuve de transparence, avoir un plan de redressement clair, chiffré et circonscrit dans le temps. Il faudra exposer clairement les mesures prises pour revenir à l’orthodoxie budgétaire, leurs conséquences négatives immédiates et leurs bénéfices à long terme, ainsi que les mesures compensatoires pour les plus vulnérables.

Rôle de la Représentation Nationale

La Représentation nationale a l’opportunité de redorer son blason en ouvrant une enquête parlementaire sur ces crimes économiques. Elle doit exiger des explications sur le recrutement massif de janvier 2024 et les 4,5 Milliards de frais d’hospitalisation. Par ailleurs, le nouveau gouvernement devra préparer une loi de finances rectificative pour 2024 afin de procéder à une réduction drastique des dépenses de fonctionnement.

Les députés devront faire preuve de patriotisme et d’esprit de dépassement pour accompagner le nouveau gouvernement dans cette nécessaire action de redressement.

Conclusion

Il n’y a pas d’alternative à une entente entre des citoyens conscients, des autorités responsables et des représentants du peuple qui placent la patrie avant le parti pour sortir le pays du guêpier.